Monastère Saint Silouane

Rameaux humilité jugement de frère Déon

Rameaux humilité jugement de frère Déon

9/4/2017 Dimanche des Rameaux Jn XII, 1-18


Au Nom du Père et du Fils et du Saint-Esprit. Amen
Nous fêtons aujourd'hui l’entrée solennelle du Seigneur à Jérusalem. L’entrée du Seigneur est importante à plusieurs titres. Et d’ailleurs dans la divine Liturgie nous avons deux moments qui, dans le rituel, nous rappellent cette entrée du Christ. Il y a ce qu’on appelle la petite entrée et la grande entrée. La petite entrée nous l’avons déjà vécue. Tout à l’heure, lorsque l’Evangile a été sorti solennellement du sanctuaire, le lieu sacré qui est le lieu de Dieu, le lieu du Père et la Parole de Dieu, le logos, est sorti au milieu de nous ? C’est le signe de son Incarnation, de son entrée sur cette terre. La seconde entrée que nous vivrons tout à l’heure que l’on appelle la grande entrée c’est l’entrée du Seigneur sous la forme du pain et du vin qui seront consacrés et auxquels nous communierons à la fin de la Liturgie. C’est l’entrée du Seigneur qui, cette fois, rentre dans le sanctuaire, dans le lieu saint, là où est le Père, et qui, en entrant dans le sanctuaire, nous entraîne tous avec Lui ; Il nous entraîne pour que nous soyons sanctifiés, pour que nous soyons déifiés. L’entrée à Jérusalem est aussi une entrée importante, un peu à double sens, car beaucoup de juifs pensaient que le Seigneur était celui qui les libérerait du joug romain qui écrasait les juifs à l’époque. Ils pensaient que ce serait le libérateur et qu’il aurait donc une certaine forme de royauté mais c’était une erreur. Le Christ n’était pas venu du tout pour chasser les romains. Son entrée c’est pour simplement signifier qu’Il s’avance vers l’entrée éternelle, celle qu’Il va nous ouvrir en mourant et en ressuscitant dans quelques jours. Cette entrée que nous solennisons sur nos icônes, dans nos rituels, il est probable qu’elle ne fut pas aussi belle, aussi grande que l’on peut l’imaginer. Certes, comme il est dit dans l’Evangile, beaucoup de juifs sont venus aussi pour voir Lazare qui avait été ressuscité la veille, par curiosité, et aussi par jalousie. Mais si nous faisons attention, nous remarquons que le Christ Jésus qui aurait pu entrer sur un char superbement décoré, accompagné de tous ses apôtres habillés de riches vêtements, comme cela se faisait à l’époque, le Seigneur, Lui, entre sur le petit d’une ânesse, un ânon. Ce petit animal qui, en Orient, est vraiment le serviteur des serviteurs que l’on traite plus ou moins bien, que l’on utilise à corps et à cris pour le faire travailler jusqu’à l’épuisement. C’est un animal souvent que l’on méprise et c’est cet animal que le Seigneur Jésus choisit comme monture. Et s’il choisit cet animal c’est par humilité. Il ne veut pas entrer d’une manière glorieuse comme un véritable mais il veut renter simplement dans l’humilité qui le caractérise. Alors, certes, ceux qui l’entourent l’acclament avec des palmes, jettent leurs vêtements par terre, comme c’est la tradition en Orient, pour qu’il puisse avoir l’équivalent de quelques tapis sur lesquels Il puisse marcher. Mais ce qui est le plus important c’est de noter que le Seigneur veut catégoriquement entrer dans Jérusalem dans un acte d’humilité. Et d’ailleurs il suffira de quelques heures pour qu’Il soit humilié et humilié jusqu’à la mort. Alors pour nous c’est une leçon qui est importante. Le carême s’achève, nous entrons dans la semaine sainte et ce carême pour chacun d’entre nous a certainement été différent, nos luttes ont été différentes, nos réussites ont été différentes, peu importe, chacun selon sa personnalité spirituelle a essayé d’entrer dans ce carême mais la question que nous pouvons peut-être nous poser à la fin de la quarantaine c’est : est-ce que nous avons cherché à vivre dans l’humilité ? Nous avons certainement jeûné, nous avons prié, nous avons assisté aux Offices, nous avons peut-être accompli quelque ascèse particulière mais est-ce que nous avons cherché à être humbles, à être humbles dans le concret de notre vie ? Bien sûr je parle aux sœurs et aux frères de la communauté mais je pense que, dans les foyers, les familles, la réalité est la même et la question est la même. Peut-être devons-nous nous poser cette question : est-ce que je n’ai pas perdu beaucoup de mon temps d’une part mais, surtout, de mon âme en portant des jugements sur mon frère ou sur ma sœur. Nous avons tous cet instinct de jugement qui est une déviation de ce que l’on appelle le discernement ; le discernement est nécessaire, nous devons discerner ce qui est bien et ce qui est mal et nous demandons d’ailleurs dans nos prières liturgiques que Dieu nous accorde le discernement, notamment à la fin de la Liturgie. Mais discerner le bien et le mal est une chose, juger notre frère en est une autre. Avons-nous été capables de nous retenir dans nos jugements qui entraînent souvent le rejet, le mépris et la certitude que nous avons raison de toute façon et que l’autre a tort ? Avons-nous lutté suffisamment contre cette tentation qui nous est quasi naturelle à cause de l’orgueil qui est en nous ? Avons-nous cherché à puiser dans la grande humilité du Christ pour en vivre un peu ? Ou bien nous sommes-nous laissés aller à juger. Alors que le Seigneur nous dit : « Ne jugez pas ». Au moins par intérêt nous ne devrions pas juger puisque le Seigneur nous dit : ne jugez pas, vous ne serez pas jugés de cette manière - en vous rejetant – à la fin des temps. Nous avons donc intérêt à ne pas juger, en premier lieu et, ce qui est encore plus important c’est de respecter le commandement du Christ : « Ne jugez pas », soyez humbles. Même si vous voyez votre frère ou votre sœur commettre une faute, comme le dit Saint Isaac : « Revêtez-le du manteau de la miséricorde ». Et puis, notre frère ou notre sœur est aimé de Dieu avec ses faiblesses, avec ses chutes, avec ses bêtises, avec ses incapacités, ses limites. Il est aimé de Dieu, elle est aimée de Dieu comme moi je suis aimé de Dieu avec tous mes travers, mes fautes quelque fois graves. Alors pourquoi veux-je juger, critiquer mon frère ou ma sœur, pourquoi ? Parce que j’ai cet instinct en moi, oui, mais le Seigneur nous donne la possibilité de ne pas juger. Il suffit de penser à Lui, d’avoir toute notre pensée tournée vers Lui, de repenser à Lui monté sur le petit d’une ânesse pour entrer, soi-disant, comme un roi. Et puis la suite …
Toujours à la fin du carême, les démons nous attaquent encore plus qu’au début. Au début, nous avons la grâce des débutants ; le Seigneur nous donne beaucoup de grâce pour entrer dans la prière, l’humilité, l’amour fraternel, l’ascèse, le jeûne, toutes ces choses. Cela dure plus ou moins longtemps. En principe, comme les démons n’aiment pas que nous nous rapprochions de Dieu par tous ces moyens, ils essayent, subtilement d’abord, grossièrement ensuite de nous faire tomber, de nous écarter de Dieu et de nous faire désespérer même de nous-mêmes. Car, en définitive, le but du démon est que nous soyons désespérés face à nos chutes au travers des jugements que nous portons sur nos frères et sur nos sœurs. Ces derniers temps, j’avais l’impression que, comme cela arrive assez souvent, tout autour du monastère, au-dessus du monastère, n’arrêtaient pas de voler des démons qui essayaient de savoir qui ils allaient piquer le premier ou la première. J’avais ce sentiment, pour moi d’abord et pour mes frères et sœurs parce que je ressentais aussi les conséquences des attaques : des jugements qui se portaient, des regards de rejet, de refus, de non-amour. Je parle pour moi aussi et c’était alors le moment de crier vers le Seigneur et de dire : « Non, non, ne laisse-les pas nous attaquer. Viens à notre secours ». Nous étions des pauvres à ce moment-là, nous sommes des pauvres et le Seigneur a dit tout à l’heure dans l’Evangile : « Vous aurez toujours des pauvres avec vous ». C’est nous les pauvres mais Dieu aime les pauvres. Un pauvre a crié, dit le psaume, et Dieu l’écoute et l’exauce. Il suffit que nous nous tournions vers le Seigneur pour échapper à ces jugements destructeurs, mortifères et si nous sommes tombés dans le jugement, dans le rejet, dans le mépris de notre frère ou de notre sœur, alors nous avons encore la possibilité de nouveau d’entrer dans l’humilité en nous humiliant nous-mêmes, en demandant pardon, soit directement, soit à Dieu, faisant une métanie : il y a toutes sortes de manières de demander pardon. Il suffit en tout cas de pleurer devant le Seigneur face à notre état. Alors, alors le Seigneur nous donnera le baume de sa miséricorde, le Seigneur nous guérira, le Seigneur nous donnera la force de comprendre que nous nous sommes égarés dans nos jugements. Bien sûr nos frères, nos sœurs sont différents et, à certains moments, il faut bien le reconnaître agaçants, irritants, insupportables oui, oui, et même les higoumènes sont insupportables, agaçants et irritants. Mais le problème n’est pas là, le problème est d’accueillir la miséricorde du Christ, le problème est d’accueillir l’humilité du Christ et d’en vivre à chaque fois que l’occasion se présente. Non pas en se disant une fois de temps en temps : « Tiens aujourd'hui je vais essayer d’être humble ». Ce n’est pas de temps en temps, c’est à tous les instants car à tous les instants le démon est là pour nous faire chuter et nous faire juger.
Oui, en cette belle fête de l’entrée du Seigneur à Jérusalem, entrée vers sa passion, sa mort et sa résurrection, et bien, nous aussi entrons avec Lui, entrons avec Lui en nous asseyant sur le petit de l’ânesse, entrons humblement, non seulement dans cette semaine sainte mais dans toute notre vie. Entrons avec le Christ, avec son humilité, avec le bénéfice de sa miséricorde. Alors, oui, au moment de l’entrée finale, au moment où les portes de l’Eternité s’ouvriront alors oui, là nous pourrons avoir une entrée plus solennelle, car le Christ nous ayant aidé à dépasser notre orgueil, en le laissant tomber derrière nous, nous accueillera avec les anges, les archanges, les Saints, avec le Père et l’Esprit et là se sera l’entrée royale, la véritable entrée royale de nous tous, avec le Christ, en Dieu, dans l’humilité enfin acquise de façon plénière, acquise d’une façon définitive. Nous n’aurions plus besoin de la miséricorde du Christ parce que nous vivrons dans son amour, cet amour qu’Il nous offre dès aujourd'hui.

Amen

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